L’océan me dit reviens

Me voilà à califourchon sur mon bateau retourné, à moitié coulé. Il tient entre deux eaux grâce au compartiment avant qui est toujours hermétique, mais je fais comment pour le redresser ? Il est redressable et insubmersible sur le papier, mais pas quand il est plein d’eau !
Je ne peux pas mourir comme ça. Je m’en suis toujours sorti. Je suis là pour me confronter à l’imprévu. Je vais trouver la solution. Shackleton est revenu des glaces, Colomb est rentré des Amériques. Il y a toujours un chemin.
La tempête va grossir, les prévisions annonçaient du 60 nœuds en rafales pour ce soir et des creux de six ou sept mètres ; je n’y suis pas encore mais la course contre la montre est lancée.
Je suis un point minuscule ballotté au milieu de l’immensité.
J’ai croisé des ours, j’ai vaincu des icebergs, j’ai franchi le cap Horn, je me suis retourné dans les Cinquantièmes. J’ai traversé un bout d’Australie à vélo, j’ai passé un an sur un crevettier, j’ai tourné cinq ans autour du monde en bateau, avec Monique, ma poule à plumes, d’un pôle à l’autre, j’ai hiverné quatre mois sur la banquise… Je suis déjà mort plusieurs fois. J’ai toujours été veillé par une bonne étoile. Je suis pressé de vivre encore.
La mer disperse mes affaires. Je les vois couler vers les grands fonds atlantiques.
Je ris. Je suis encore vivant. Ha, ha, ha !
Le vent ne m’emportera pas. Les abysses ne seront pas mon tombeau, il est encore trop tôt.
Mon mot préféré s’appelle « encore ».